Je me déplace à vélo sur le Larzac et pour me rendre à Millau. Ayant le permis de conduire et les moyens d’avoir une voiture, je passe aux yeux des Larzaciens soit pour un doux dingue, soit pour un sportif, soit même pour un ayatollah du vélo. Je récuse ces trois qualificatifs.
Un choix rationnel
Le vélo est souvent plus pratique que la voiture, notamment pour circuler
et stationner en centre ville. Ça va plus vite. En ville, c’est facile à prouver. À la campagne, une telle assertion suppose le calcul suivant : le coût d’usage de la voiture est compris entre 40 et 45 centimes d’euro du km (tous frais compris), contre 3 à 5 cts pour le vélo. Un aller-retour St-Martin – Millau (30 km) coûte donc environ 15 euros en voiture, contre 1 euro à vélo. Si l’on convertit ce coût en temps de travail, cela revient à 1 h 30 de SMIC pour la voiture, contre 10 minutes pour le vélo. Ajoutons ce temps de travail à la durée du trajet AR (1 h 40 à vélo et 30 minutes en voiture), on obtient 1 h 50
à vélo, contre 2 h en voiture. CQFD.
Pourquoi si peu de gens font ce type de calcul ? D’abord, parce que le coût de la voiture est sous-estimé : on ne compte souvent que le carburant, qui ne représente qu’à peine le quart du coût total. Ensuite, parce que la conversion du temps en argent est contrariée par le fait qu’on a rarement le choix de sa durée de temps de travail. Enfin, le statut social s’appuie sur le salaire plus que sur la qualité de vie : il est plus valorisant de gagner 1 500 euros par mois et d’en dépenser 1 500 que d’en gagner 1 200, en dépenser 1 000 et avoir plus de temps libre !
Non sportif
Le sport est, par définition, une dépense d’énergie inutile, tandis que la plupart de mes trajets sont utilitaires. L’exercice physique est bon pour la santé, mais le sport moins : il n’y a qu’à voir la pharmacie ambulante qui accompagne tout sportif de haut niveau !
Je n’ai jamais pratiqué aucun sport. Asthmatique, incapable de courir, c’est la pratique régulière du vélo utilitaire qui m’a donné des jambes et un coeur de « sportif ».
Le Tour de France et Paris-Roubaix sont pour beaucoup dans l’image du vélo
comme instrument de torture. Pourtant, il y a aussi peu de points communs entre un
« forçat de la route » et moi qu’entre un marathonien et un promeneur à pied.
Ayatollah ?
Certes, si j’en avais le pouvoir, je lancerais volontiers une fatwa contre les quads de loisir, les motos dites « vertes », les 4×4 en ville et la Formule 1. Mais je n’aime pas plus les roues de vélo voilées que les femmes voilées…
Le vélo n’est pas une religion pour moi, mais une philosophie. Je résiste à la tyrannie de la voiture individuelle, mais je ne fais aucun prosélytisme. Quant à celui qui ne sait plus faire 1 ou 2 km sans son fauteuil roulant d’une tonne, je me garderais bien de le traiter d’ayatollah de la voiture ; juste d’impotent…
Attardé ou précurseur ?
Il y a 50 ans, se déplacer à vélo était beaucoup plus courant, même sur le Larzac. Je fais le pari que dans 20 ans, cela le redeviendra, à cause de la fin du pétrole bon marché, qui entraînera la hausse du prix de toutes les énergies. Or le rendement énergétique de la voiture, quel que soit son mode de propulsion (électricité, hydrogène,
air comprimé, agrocarburants…) est environ 40 fois plus mauvais que celui du vélo !
Quelques motivations supplémentaires…
Je suis gourmand. La pratique du vélo me permet de maîtriser poids et taux de cholestérol sans me priver de rien à table. Autre argument : les terres cultivables ne pourront pas nourrir 9 milliards d’humains + 1 milliard d’automobiles, puisqu’une voiture
consomme grosso modo l’énergie équivalant à l’alimentation de six ou sept personnes. Manger ou conduire, il faudra choisir. Moi, j’ai déjà choisi. Par souci écologique, j’évite au maximum de me déplacer en voiture et en avion, les deux modes les plus énergivores et les plus polluants. Par humanisme, je suis pour l’abolition
des privilèges. Les « non-motorisés » représentent 90 % de la population
mondiale ; or s’il n’est pas utopique d’imaginer que chaque Terrien ait un
vélo, la planète ne pourra pas supporter longtemps l’augmentation du nombre de
véhicules à moteur. Partisan de la non-violence, j’ai choisi un mode de déplacement rarement responsable d’accident grave, qui épargne les animaux, et qui ne contribue
pas aux changements climatiques. C’est une drogue douce, légale et inoffensive. Un effort prolongé, par exemple grimper une côte, entraîne une sécrétion d’endomorphines, aux effets analogues à ceux procurés par la prise d’une drogue opiacée. Le vélo a toujours été pour moi un antidépresseur efficace, sans effets indésirables, et qui non seulement ne coûte rien à la Sécu, mais lui rapporte même, puisque je suis en meilleure santé qu’un sédentaire.
Je reconnais que remonter de Millau à vélo (450 m de dénivelé) suppose un peu d’entraînement. Mais j’aimerais que chacun s’interroge sur les alternatives
(marche, vélo, vélo électrique, covoiturage, auto-stop, transports en commun…)
avant de monter dans sa voiture par réflexe, que ce soit pour sa condition physique, pour son porte-monnaie, ou pour laisser une planète vivable.
Thomas LESAY— St-Martin-du-Larzac
12100 Millau — tlesay@hotmail.fr
Bibliographie succincte
L’Hommauto, Bernard Charbonneau,
éd. Denoël, 1967, rééd. 2003.
Energie et équité, Ivan Illich, éd. Seuil,
1973.
Les cahiers de médiologie n°5,
la bicyclette, éd. Gallimard, 1998.
Petit traité de vélosophie,
Didier Tronchet, éd. Plon, 2000.
Rapide essai de théologie automobile,
Gaspard-Marie Janvier, éd. Mille et une
nuit, 2006.